Extrême mauvaise foi

Après avoir englouti la droite traditionnelle et regardé ses restes exploser en plein vol, le camp de la majorité s'est fixé comme nouvel objectif de démanteler le bloc de gauche fraîchement construit pour les législatives, suite à la déroute de tous les partis se réclamant de ce bord politique lors de l'élection présidentielle (en tout cas ceux, ironiquement, ayant joué plus ou moins franchement la carte de la compatibilité, à savoir Fabien Roussel, Yannick Jadot et Anne Hidalgo, réunissant moins de 9% des suffrages à eux trois). Ce bloc, la NUPES (qui aurait, mathématiquement du moins, obtenu le plus haut score du premier tour si elle avait été en vigueur alors), est en effet emmené par la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, laquelle se voit devenir la cible d'une campagne de sape auprès de l'opinion visant à lui ôter toute crédibilité pour la suite. Or, nous allons voir ensemble que le jeu joué par Emmanuel Macron et compagnie est plus dangereux que jamais.

Les extrêmes, c'est toi, la-la

Comment vaincre durablement un adversaire politique ? En le discréditant. Quelques jours après avoir assuré Adrien Quatennens que LFI fait partie du "champ républicain", Macron rétropédale en déclarant que le mouvement "ne s'inscrit pas comme un parti de gouvernement", point de vue relayé par d'autres membres de la majorité comme par exemple Pap Ndiaye qui le juge "limite du point de vue de l'arc démocratique et républicain" - la subtilité étant, cela ne vous aura pas échappé, qu'il s'agit à chaque fois de présenter LFI comme un équivalent du Rassemblement National, en regroupant les deux sous l'unique appelation d'"extrêmes" afin de promouvoir le "centrisme éclairé" prôné par LREM comme la seule solution raisonnable.

Il y a toutefois un problème : placer la France Insoumise à l'extrême-gauche est foncièrement faux. En effet, le programme de cette dernière n'envisage notamment en rien une rupture franche avec l'économie capitaliste ; celui-ci, au fond, correspond bien davantage à un modèle social-démocrate, autrement dit ce qu'a plusieurs fois par le passé prôné le Parti Socialiste avant de s'y voir "contraint d'y renoncer", qu'il s'agisse du "tournant de la rigueur" de 1983 sous François Mitterrand ou, plus récemment, du "social-libéralisme" d'un François Hollande qui se présentait comme l'"ennemi de la finance" lors de sa campagne. Je n'ose imaginer de quel qualificatif on affublerait un Philippe Poutou si Jean-Luc Mélenchon était "d'extrême-gauche", "révolutionnaire" ou encore "antirépublicain".

Logés à la même enseigne... ou pas

Il y a plus grave encore que de vouloir diaboliser LFI en les comparant au RN : c'est de les décrire, justement, comme plus dangereux que le RN (un parti, on le rappelle, initialement fondé par d'anciens nazis et dont le programme, si bien formulé qu'il soit, continue à promouvoir une vision néofasciste du monde), ce dont ne se prive pas par exemple cet ancien policier interviewé sur CNews, pendant qu'Éric Dupond-Moretti se voit très bien "avancer ensemble avec le RN" suite aux législatives.

Cette diabolisation est devenue un exercice de style récurrent pour la majorité au travers de ses éléments de langage de prédilection que sont "islamogauchisme" ou encore "wokisme" : Frédérique Vidal, Jean-Michel Blanquer et Édouard Philippe, entre autres, s'en sont donné à coeur joie. Que dire encore des sorties RN-compatibles de Gérald Darmanin, que nous avons précédemment évoquées ? Fustiger "les extrêmes" est une tactique efficace, mais sa mise en pratique est tout sauf un modèle de symétrie : l'évolution idéologique de façade d'Emmanuel Macron lui-même en reste le meilleur signe, et les derniers résultats électoraux de l'extrême-droite la plus sinistre preuve. On conviendra donc qu'il est (encore plus) difficile de croire en la sincérité du Président quand celui-ci s'inquiète de la montée de cette dernière, alors même qu'il semble qu'il fasse tout pour que celle-ci se produise.

Pikachu surpris

Pourquoi procéder de la sorte, au fond ? Ça aussi, nous l'avons déjà établi : progresser vers le fascisme sert les intérêts néolibéraux, le modèle social de l'un étant un terreau fertile pour le modèle économique de l'autre, ainsi que nous l'étudierons plus en détail dans un prochain article. Qu'on me permette donc de remettre en cause cette nouvelle soi-disant dualité politique entre macronisme et extrême-droite, en vigueur depuis 2017 et qu'on n'a de cesse de vouloir renforcer en en excluant de façon grotesque toute réelle alternative, aussi modérée soit-elle en réalité : tous les chemins mènent au pogrom.

Par souci d'honnêteté intellectuelle, précisons tout de même que la gauche n'a pas exactement fait de son mieux pour redorer son blason auprès de son électorat potentiel suite aux derniers scrutins : si certaines prises de position polémiques de Mélenchon, comme au sujet de Cuba, des Ouïghours ou de Vladimir Poutine, sont plus ou moins défendables, d'autres, concernant Taïwan ou encore Adrien Quatennens, ne le sont d'aucune façon. Concernant ce dernier point, la multiplication des accusations de violences sexistes et sexuelles parmi les rangs des formations politiques composant la NUPES (y compris parmi leurs cadres avec donc Quatennens, mais aussi Coquerel, Portes ou encore Bayou) est un autre problème que le bloc de gauche se doit d'adresser rapidement et efficacement pour éviter qu'il y ait d'autres victimes, à plus forte raison que son instrumentalisation par les médias des dominants ne peut que rendre plus inhospitalier encore le paysage dépeint en ces lignes, dans la droite lignée de l'apparente obsession de ces derniers pour les membres de la NUPES, peu importe la pertinence de celle-ci (voir par exemple cette exhumation d'une prise de position vieille de 8 ans).

En guise de complément, je vous laisse (pour changer) avec un récapitulatif d'Usul et Ostpolitik de la diabolisation de la gauche et la dédiabolisation de l'extrême-droite ces cinq dernières années.

Propulsé par Bloatless blog. Favicon fournie par Icon Fonts sous licence CC BY 3.0.